Street art au féminin dans les rues de Paris

Ce mois-ci, le thème pour le collectif En France Aussi est consacré au matrimoine. Un thème sous la direction de trois femmes merveilleuses : Delphine du blog In rando veritas, d’Audrey Arpenter le chemin et Paule-Elise pour 1916 kilomètres. Le matrimoine, qu’est-ce que c’est ? Eh bien le patrimoine, au féminin, tout simplement. Les femmes sont assez rarement mises en valeur et peinent à passer à la postérité, leurs créations ou découvertes se voyant trop souvent récupérées par des hommes. Ce thème est l’occasion d’essayer de regarder autour de soi où elles ont laissé leur marque et de tenter modestement de les faire sortir de l’ombre. Et il semble bon de rappeler au passage ce qui est la définition du patrimoine (selon le tlfi) : « Ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun. » Par exemple patrimoine archéologique, artistique, culturel, intellectuel ou religieux.

Je dois admettre que j’ai eu un peu de mal à trouver de quoi j’allais vous parler. Pourtant le patrimoine fait partie de mes centres d’intérêt, le féminisme aussi, normalement, ça n’aurait pas dû être si compliqué. Spontanément, le patrimoine pour moi c’est surtout les vieilles pierres. En second lieu, je pense à l’art – et là c’est déjà plus facile de trouver des femmes. Enfin, c’est le patrimoine religieux qui me vient à l’esprit en troisième. Cet article aura au moins été l’occasion de me rendre compte que j’ai une vision assez restreinte du matrimoine. J’avais pensé à des lieux comme Nohant et la maison de Georges Sand, ou présenter une artiste, mais finalement ce sera sur le street art que je vais me pencher. Je me suis demandé si on pouvait considérer le street art comme du matrimoine. Etant donné que c’est un art éphémère, peut-on parler de transmission ? Après réflexion, j’ai considéré que oui. Ne serait-ce que parce que même si les œuvres ne sont pas toujours amenées à durer, leur empreinte reste, les artistes s’inspirent les unes des autres et c’est un mouvement qui transfigure nos villes. Et les femmes y sont bien présentes.

Je vous amène dans les rues de Paris pour cet article avec les œuvres de quelques femmes dont j’apprécie le travail. Souvent je ne sais pas grand choses d’elles, voire rien du tout, mais c’est un peu le jeu quand on parle de street art. Certaines artistes ont une renommée qui fait qu’on connaît aujourd’hui leur visage et qu’on en sait un peu sur elles, d’autre ne dévoilent guère plus que leur signature au coin de leurs œuvres. Les artistes sont susceptibles d’être poursuivies pour dégradation, je ne cours pas après les informations à leur sujet si celles-ci s’avèrent difficiles à trouver. Si les arrestations et les condamnations sont plus rares que par le passé et que certains artistes officient aujourd’hui au grand jour, d’une manière générale, il me semble important de respecter leur anonymat et ne pas publier d’informations permettant de les identifier sans leur autorisation. D’ailleurs si le street art se démocratise et que parfois le but est purement esthétique, son aspect subversif et sa portée (dans la rue, aux yeux de tous) font qu’il n’est pas rare que les collages ou les pochoirs revêtent un aspect politique.

Artistes

Le choix a été terriblement difficile tant les artistes que j’apprécie sont nombreuses mais voici une courte présentation de 15 femmes dont vous pourrez voir le travail dans les rues de Paris. Cliquez sur les noms pour le lien vers leur compte Instagram.

Demoiselle MM

Depuis 3 ans, ces grandes silhouettes élégantes s’affichent sur les murs de Paris. D’abord à la limite du 19e et du 20e, puis d’autres quartiers. Formée aux beaux-arts de Marseille, elle s’inspire pour ses portraits de costumes traditionnels venus des quatre coins du monde. Ses œuvres font souvent référence aux contes, à la mythologies ou à des femmes qui ont marqué l’histoire. J’adore son style élégant et coloré avec une touche rétro.

Lilo

J’aime beaucoup les collages de Lilo. Particulièrement ceux mettant en scène son « petit peuple de l’ombre » : de tout petits formats qui donnent vie à des personnages aux airs de Pierrot. Ses œuvres discrètes et pleines de poésie répondent souvent à celles d’autres artistes auxquelles elles viennent se mêler. J’ai surtout vu ses collages dans le 20e mais vous pouvez aussi retrouver son travail dans les rues de Lyon ou de Grenoble.

OJA

Des portraits de femmes célèbres, tels des ex voto, dans un style coloré rappelant les azulejos. Elle ajoute les initiales de la femme représentée et une petite phrase, en épigraphe, comme un clin d’œil à l’histoire de celle à qui elle rend hommage. Elle a débuté avec Catherine Deneuve mais depuis Sophie Fontanel ou Mylène Farmer sont venues compléter sa galerie.

La dactylo

Ses phrases au pochoir sont courtes et efficaces. Des aphorismes toujours bien sentis qu’on retrouve régulièrement au détour d’une rue, à Paris ou ailleurs. Des petites touches de poésie urbaine pleines de tendresses et d’humour.

J’en profite pour la citer dans une interview pour QG des artistes :

Il me semble que l’acte de produire et proposer quelque chose dans l’espace public n’est jamais anodin. Il est, de fait, engagé. Les street-artistes revendiquent le droit de s’exprimer en s’appropriant l’espace dans lequel ils vivent, quitte à être parfois dans l’illégalité.

Kashink

Sans doute la seule femme que j’ai choisi de vous présenter ici alors que je n’aime pas du tout son style. Mais il me paraissait important d’en parler. Elle est très productive depuis une dizaine d’années et ce à l’international. On trouve beaucoup de ses fresques à Paris où elle vit. Elle a un style facilement reconnaissable et très coloré. Son travail questionne les codes esthétiques et de genre. Une artiste engagée dont je trouve la démarche passionnante.

Les poulpeuses

Depuis quelques mois, ses femmes en noir et blanc dessinées à l’encre de Chine s’épanouissent sur les murs du 20e, où demeure leur créatrice. Leur nom est à la fois une référence à leur côté pulpeux et un hommage au poulpe. On y retrouve souvent des références à la mythologie grecque. J’aime particulièrement la finesse du dessin et le style très reconnaissable.

Paddy wagon

Elle nous fait voir la vie en bleu. J’aime beaucoup l’originalité de son style. En effet, sa spécialité est le cyanotype. Ce procédé photographique ancien permet de faire des impressions d’images d’un bleu profond. Elle fait surtout des petits formats, avec des sujets assez variés et un rendu toujours d’une grande délicatesse. Très productive, on trouve ses petits bouts d’azur aux quatre coins de Paris.

Miss Tic

Sans doute la plus célèbre des artistes de rue parisiennes. Et celle à la plus belle longévité aussi ! Elle a été une des premières à peindre les murs de la capitale, sa carrière a commencé en 1985 ! Une silhouette de femme brune, accompagnée de phrases qui oscillent entre provocation et légèreté. Si ses débuts lui ont valu quelques arrestations, l’artiste est aujourd’hui largement reconnue, elle a déjà illustré des timbres ou un dictionnaire, réalisé des affiches et collaboré avec diverses marques. Ses pochoirs sont particulièrement présents dans les rues de la Butte au Caille, dans le 13e.

Vinie

On change totalement de style… et de taille ! Vinie est une artiste originaire de Toulouse qui jouit d’une belle renommée. Elle peint beaucoup de grands formats représentant généralement une poupée noire aux yeux immenses qui rappelle le style manga, avec une coupe afro le plus souvent colorée ou faites de tags portant sa signature. On retrouve ses fresques impressionnantes et bariolées un peu partout dans le monde. A Paris, vous pouvez la retrouver par exemple sur les murs du Crous dans le 13e près de BNF ou à l’angle de la rue des Vinaigriers et du canal Saint-Martin.

Olivia Paroldi

Olivia est graveuse. Elle colle ses estampes dans la rue depuis une dizaine d’années. Attachée aux méthodes traditionnelles, elle partage son art dans l’espace public afin qu’il soit accessible et populaire. L’enfance est parmi ses thèmes privilégiés. Voici une citation extraite de son site qui me semblait tout à fait coller avec l’aspect matrimonial de cet article :

L’œuvre est complète une fois collée dans la rue. J’aime l’idée que mes créations se composent de trois éléments fondamentaux : l’estampe, la rue et le temps.

Leur aspect éphémère est précieux, les œuvres urbaines n’appartiennent à personne et à tout le monde. Elles sont visibles quelques jours ou quelques mois puis se font une place dans les souvenirs des passants et du lieu.

Missgreen grenouille

Des silhouettes noires au pochoir, très sobres, rehaussées d’origamis colorés : c’est le style délicat et efficace de Missgreen Grenouille. Elle choisit souvent de représenter de grandes figures féminines qui ont marqué leur temps, avec un penchant particulier pour les années 20. Une très jolie manière de leur rendre hommage.

Many Oly

Elle fait de grands visages de femmes très colorés, reconnaissables à son trait unique. Elle est aujourd’hui reconnue et peint un peu partout en Europe au gré de ses voyages. J’ai hésité à la mettre dans cette liste, je n’ai croisé aucun de ses portraits récemment et mes photos ne rendent pas hommage à son travail. Mais Many Oly est la première dont j’ai su reconnaître les œuvres au 1e coup d’œil. Découverte par hasard à Barcelone, quelques semaines après, je tombais sur quelque chose d’approchant à Paris, avec la certitude que c’était réalisé par la même artiste. Je suis allée chercher son nom et suite à ça, j’ai commencé à prendre plus régulièrement des photos d’œuvres qui me plaisaient afin d’essayer d’apprendre à en reconnaître les auteurs et me construire peu à peu une culture street art.

Megumi Nemo

Cette illustratrice japonaise est reconnaissable pour ses personnages enfantins et son univers doux poétique empreint d’une certaine naïveté. Ses couleurs de prédilection sont le bleu, le jaune et le rouge, des couleurs primaires facilement identifiables. Elle a réalisé plusieurs collages rue des Cascades mais aussi à Versailles ou au Pré-Saint-Gervais.

Les murs ont des oreilles

Sa série « Au pied de la lettre » illustre des expressions de la langue française en détournant des tableaux classiques. C’est beau, c’est malin et plein d’humour. J’aime vraiment beaucoup son travail. Forcément, il regroupe pas mal de mes centres d’intérêts, ça ne pouvait qu’attirer mon attention. C’est toujours un bonheur de tomber sur ses collages littéraires, et ça tombe bien, ils sont nombreux dans Paris !

La princesse Ecchymose

Je termine avec La Princesse ecchymose. Une artiste sur laquelle je n’ai trouvé absolument aucune info ! Mais j’ai eu un gros coup de cœur pour son travail alors je vous en parle même si je n’ai rien de spécial à dire. J’ai découvert un de ses collages dans une impasse du 11e et je suis de suite tombée sous le charme. Sa marque de fabrique ? Des femmes en noir et blanc et toujours un cœur humain sur l’image. Je n’aime pas du tout les trucs « girly », les petits cœurs partout ce n’est pas pour moi, autant vous dire que ce choix me parle beaucoup. C’est décalé et délicat à la fois, j’ai trouvé ça saisissant.

Localisation

Ces dernières années, le streetart fleurit dans de nombreux quartiers de Paris. On en retrouve notamment beaucoup dans les 13e et 20e arrondissements, mais aussi à Montmartre et le long du canal de l’Ourcq. Il y a des fresques spectaculaires le long de la ligne 6, qui ne figurent pas dans cet article mais que je vous recommande d’aller voir si ce n’est déjà fait. Voici quelques lieux où vous pourrez trouver de jolies choses : autour de BNF, en vous baladant dans le Marais (autour du centre Pompidou et vers Hôtel de ville entre autres), dans tout le quartier de la Butte aux Caille, à Montmartre dans les rues entre le Sacré Cœur et Abbesses, aux Batignolles – rue Biot particulièrement, entre le métro Ourcq et le canal, aux alentours du bassin de la Villette, en haut du parc de Belleville, autour de la porte de Bagnolet, en haut de la rue Oberkampf, et dans le 20e rue des Cascades et rue de la Mare.

D’une manière générale on trouve surtout du streetart dans les quartiers populaires, très souvent dans les petites rues et les impasses avec beaucoup de petits formats rapides à réaliser, des collages amenés à disparaître au bout de quelques semaines, qui s’empilent sur certains pans de murs. Les grandes fresques sont plus rares et sont généralement des commandes, les plus spectaculaires sont le long de la ligne 6 dans le 13e, on en trouve aussi le long du canal de l’Ourcq et dans une moindre mesure vers la Butte aux Cailles mais il en existe bien sur ailleurs dans Paris. La plupart des réalisations étant éphémères, si vous suivez mes pas, vous verrez sans doute des choses différentes. Les artistes ont souvent leurs habitudes dans certains quartiers, on peut passer régulièrement dans les mêmes coins et y trouver toujours des nouveautés, aucun risque de s’ennuyer !

Vous pouvez voir sur la carte le lieu approximatif où mes photos ont été prises (il y en a parfois plusieurs sur le même point). Comme vous pouvez le constater, c’est très rassemblé dans le 20e. Non seulement c’est un quartier riche en street art mais j’y ai passé pas mal de temps cet été. Certains quartiers sont sous représentés. Deux raisons à ça : pour le 13e et le Sud de Paris en général c’est parce que j’y vais rarement, j’y ai fait un tour spécialement pour cet article mais mes connaissances reste lacunaires et je n’ai pas eu l’occasion de visiter des endroits comme Spot 13 ; pour le Nord-Ouest parisien et le 11e, c’est parce que la majorité de mes photos étaient sur mon téléphone mort prématurément et ont été mal sauvegardées… Quant à certains quartiers, les œuvres que j’y avais vues étaient quasi exclusivement masculines.

Je suis loin d’avoir cité toutes les femmes dont les œuvres ornent les rues de la capitale. Il y en a bien d’autres. Plume, Akelo, Louyz, Marquise, Blackmomille, Showshowart, Alice Almah, Wild wonder woman, Madame, Beton spirit ou Laurier pour ne citer qu’elles. J’ai choisi celles qui me semblaient incontournables, pour qui j’avais le plus d’illustrations ou simplement mes coups de cœur mais il y a une scène féminine très talentueuse que je vous invite à découvrir. Il est possible de trouver du street art un peu partout, le mieux est de garder l’œil ouvert pour repérer de nouvelles choses. Côté banlieue, Ivry et Vitry ont une belle réputation. Pour identifier les œuvres, je peux vous conseiller les comptes Instagram de Couscous street art, The street art lover, Lilo, Dany B ou RV Gwen. Parfois le mystère demeure malgré tout. La scène street art évolue très vite et il y a toujours de nouvelles découvertes à faire.

Si vous préférez une activité encadrée pour vous initier au street art, vous pouvez suivre les mini guides Explorhappy (pas spécialement réservés aux artistes féminines mais elles y sont de mémoire bien représentées), de petits livrets conçus pour des balades en famille que j’ai trouvés agréables à utiliser. Il existe aussi plusieurs visites guidées consacrées au stree art dans Paris, mais une seule à ma connaissance est exclusivement consacrée aux femmes artistes, organisée par l’association Feminists in the city qui organise également d’autres visites culturelles qui ont l’air tout aussi passionnantes ! Si vous n’êtes pas à Paris, beaucoup d’autres villes ont une scène street art très active et proposent des visites guidées.

J’espère que ces quelques pistes concernant aussi bien les créatrices que les lieux où elles officient vous donneront envie d’aller vous balader dans les rues de Paris ou de découvrir les artistes qui œuvrent près de chez vous.

  • Streetart, Madame, Paris 11
  • Streetart, Stroul, Paris 13
  • Streetart, Zabou, Paris 13
  • Streetart, Caroline Laguerre, Paris 12
  • Streetart, Marquise, Paris 20


15 réflexions sur “Street art au féminin dans les rues de Paris

    1. J’ai l’impression que ça se féminise pas mal. Par contre c’est vrai que les artistes reconnus restent majoritairement des hommes, mais ça évolue doucement. Je suis loin d’être une spécialiste mais j’adore voir de nouveaux univers émerger, ça bouge très vite, c’est tout le temps en train d’évoluer, c’est tellement chouette

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  1. Je trouve que tu as eu une super idée de parler du street art !! Honte à moi, j’étais persuadée que Vinie était un homme et je trouvais justement ses oeuvres super poétiques et douces pour un homme 🙂 🙂

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    1. Merci. J’ai eu quelques surprises de ce genre en cherchant des infos sur les artistes que j’aimais bien ! C’est étonnant parfois les idées qu’on se fait des gens à travers leur style. Parfois ça colle super bien et d’autres fois on est très étonné de découvrir qui se cache derrière les œuvres. Ca m’a pris beaucoup de temps mais j’ai adoré faire plein de recherches pour cet article, j’ai bien envie de compléter petit à petit.

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  2. Bravo Madeleine pour cet article passionnant, c’est une super idée de mêler street art et matrimoine ! Ma culture street art est assez nulle, mais parmi les artistes dont tu parles j’aime bien Kashink (celle que tu n’aimes pas donc 😂). J’ai eu la chance de la voir peindre à Pantin l’été dernier pour le projet îlot 27. Son style me plaît bien !

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    1. Merci ! Le style de Kashink me fait un peu flipper, j’aime bien le côté coloré par contre tous ces yeux, ça me met mal à l’aise. Mais son travail est passionnant !

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    1. Merci. J’ai découvert qui se cachait derrière certaines oeuvres en écrivant l’article ! J’aime aussi beaucoup Mademoiselle MM, c’est délicat et très coloré.

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  3. Wow cet article me fait prendre conscience que j’ai toute une culture street art à me construire !J’admire les œuvres mais je pense rarement à chercher la signature. Dorénavant je ferai plus attention. Si ça se trouve je tomberai sur d’autres œuvres féminines !

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    1. Il y a beaucoup plus d’œuvres de femmes que ce que j’aurais cru ! J’ai beaucoup aimé faire des recherches pour cet article, j’ai découvert plein de choses

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